« Le mal devient l’horizon de la société ». Sans vouloir ni pouvoir tout seul, « soigner tout le mal être et recoudre des cœurs en béton, en fer et en acier, avec ses mains de chiffons, de stylos et des papiers », le philosophe, professeur émérite de l’Université Marien Ngouabi Charles Zacharie Bowao, « tente avec des mots d’apaiser les grandes plaies », d’une humanité en perdition. C’est l’essence de la leçon inaugurale qu’il a dispensée le 18 avril 2025 à Brazzaville, à la rentrée académique de la Faculté des lettres, des arts et des sciences humaines de l’Université Marien Ngouabi, à travers la Société congolaise de philosophie (SOPHIA), « sous l’autorité stricte du professeur Ghislain Thierry Maguessa Ebomé », en s’interrogeant, « n’est-il de tradition philosophique et/ou de modernité politique qu’insignifiance ».
CHOISIR : PHILOSOPHIE OU POLITIQUE
Réalités actuelles et expériences personnelles tellement vraies, vérifiées et vérifiables, constituent le socle de cette leçon inaugurale, un chapitre essentiel pour quelque observateur et/ou apprenant à l’école de la vie. Observateur, acteur parfois metteur en scène de la vie publique congolaise et de la société savante universelle, le professeur Charles Zacharie Bowao fait l’éloge de la « SOPHIA », l’amour de la sagesse, donc du philosophe, de la philosophie, elle-même porteuse de lumière dans l’humanité.
« Encore une intuition critique sur le rapport entre le philosophe et la cité. Comme pour dire que la politique est le lieu par excellence du faux, du mensonge. Amoureux de la sagesse, donc de la vérité et de la justice, le philosophe ne devrait-il pas être loin de la politique politicienne, c’est-à-dire, ces lieux de la militance partisane, où par le mensonge et l’arbitraire prospère l’habileté démagogique ».
Philosophe lui aussi, le professeur émérite souligne sans faux-fuyants que « le philosophe a toujours eu l’humilité de reconnaître qu’il n’est pas un homme de quantité. Le philosophe aurait aimé revendiquer la faiblesse d’être un homme de qualité dans un monde qui est perpétuellement en crise, autrement dit, un monde en quête de sens, de significations ».
Celui qui aurait choisi le métier de philosophe si c’était à reprendre, connait « les intolérances mettent à rude épreuve l’intersubjectivité première, notamment autour des intrigues participant du jeu conflictuel du pouvoir, pour le pouvoir, par le pouvoir et/ou contre le pouvoir ». Je parle du pouvoir politique au cœur de la cité certes, nuance le professeur émérite, « mais sans occulter d’autres conflits d’intérêts entre le particulier et le général qui sont la source de violences locales dans les familles, les clans, les ethnies, les corporations professionnelles ou dans bien d’autres lieux de manifestation vive du lien social en équation de perdition. Lorsqu’il est au centre du pouvoir d’état, le conflit d’intérêts entre le particulier et le général peut atteindre la masse critique suffisante pour décliner la partition positive du mieux en laissant le pire proliférer. Le calvaire est là. La société implose. Il n’est plus possible de vivre ensemble. La déshumanisation devient le marqueur dominant du vivre ensemble. Ce que, dans un aléatoire ressaisissement, le politicien congolais qualifie de bêtise humaine. Chacun regrette travestissement fatidique des enfants du même pays qui s’entretuent avec allégresse ».
Face à la déconfiture sociétale qui s’enlise, le professeur Charles Zacharie Bowao propose « la patience du concept, autrement dit par la discussion fondée en raison, avec emprise sur l’émotion vive » pour que la « société se donne les moyens adéquats de prévention du conflit, ou à tout le moins, d’en sortir le plus vite possible une fois que le conflit n’a pu être évité ».
LORSQUE LA MALICE ET LE MAL SE SUIVENT
Intervient alors « la dialogique… qui interdit de prostituer le savoir en l’instrumentant au service d’une cause d’inhumanité qui n’avoue jamais son impertinence. C’est de là qu’il est urgentissime de chanter avec sagesse, plutôt qu’avec ivresse le chant de la liberté. L’ivresse de la liberté ne peut que féconder la bête en l’homme, ou faire le lit de l’endormissement de la conscience. Le mal devient l’horizon incontournable de la vie en société », alerte-t-il.
Dans ce contexte, le philosophe ne s’étonne pas du triomphe de l’insignifiance là où le droit et le politique peuvent communier pour que des notions les plus limpides, deviennent inintelligibles. « Lorsque dans une société, la malice et le mal se conjuguent mutuellement, la vertu déserte l’espace public, ce que la virulence du langage et la barbarie autorisent, portées par l’ivresse de la liberté en question. L’ingénierie du mal-vivre devient performante, et même performative dès lors qu’elle donne sens à des privations de jugement du genre touche pas à mon poste, alors qu’au cœur de l’état, contrat de performance oblige, l’on devrait encourager la mobilité des intelligences ; touche pas à mon président, alors qu’en république, le prédisent est celui de tous les citoyens, et non celui d’un parti politique, d’un clan et que sais-je d’autre ; touche pas à ma constitution, alors que c’est la loi fondamentale, et nul n’est censé être au-dessus d’elle ; c’est notre tour au pouvoir, alors que le pouvoir appartient au souverain primaire, et non à une famille, ou à une ethnie, coalition d’ethnies ; l’avenir de telle ethnie, coup d’état de telle ethnie ou autre ».
Dans une société où la tradition républicaine et démocratique est désappointée et dans laquelle on assiste à une sacralisation de l’ethnocentrisme ; où la solidarité nationale s'estompe, où le parti politique devient un instrument de violence identitaire ; le politique Bawao en a appris à son corps défendant, en essayant de clarifier la notion de refondation politique. Et, il a compris que « le débat d’idées n’est pas la chose la mieux partagée dans les partis politiques parasités par l’hypocrisie de la magne, précisément par l’ethnocentrisme. La modernité politique devient l’horizon d’une insignifiance structurante, sous-tendue par la langue de bois ». Il relève alors, « nos partis politiques ne vivent que pour le pouvoir, par le pouvoir qu’il ne faut jamais perdre, peu importe la manière de le conquérir, et peu importent les résultats de la gouvernance ».
PENSER EST UN BONHEUR
Mais au-delà et malgré tout, le philosophe assume le devoir d’impertinence qui disqualifie la servitude volontaire et préserve de la servitude involontaire. « Philosophe, Intellectuel, je suis un fonctionnaire de l’humanité. Je suis payé par l’état pour être au service de l’humanité. La qualité de professeur des universités émérite me conforte dans le refus de l’esprit partisan et de la tyrannie de l’insignifiance. Ainsi Je capitalise l’indépendance d’esprit qui est au croisement de la liberté académique et de la franchise universitaire. La tradition philosophique est une inquiétude nécessairement sans fin, dont la vocation critique d’universalité ne peut que défier une modernité problématique ». Il conclut, « penser est un bonheur, écrire est un privilège, dire est un plaisir ».
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